Qu’est- ce qu’une « Faith based organization » ? A vrai dire un fourre-tout bien pratique, mais certainement pas ou pas seulement une organisation confessionnelle comme le veut la traduction usuelle en français. Je n’ai pas d’alternative pleinement satisfaisante mais je parlerai d’organisation fondée sur une foi ou, plus, conforme à la sensibilité francophone, une organisation d’inspiration religieuse voire ayant une base spirituelle. Ce qui me semble important à ce stade, c’est de distinguer au moins trois types d’organisation entant sous ce label :
1- la communauté religieuse dotée d’un credo, d’une vie cultuelle et d’une organisation propre ; grande ou petite, ancienne ou récente, elle se caractérise notamment par la distinction entre membres et non-membres
2- l’organisation de type ONG fondée sur une conviction et/ou un objectif ayant une dimension religieuse ; dans les faits, elle entretient des liens plus ou moins étroits ou distendus avec ses origines
3- l’association, souvent locale, initiée par des croyants se donnant un objectif spécifique en relation avec la société à laquelle elle entend apporter sa contribution.
Dès lors qu’il est question de l’engagement de ces organisations basées sur la foi en rapport avec la Déclaration Universelle des Droits Humains, trois distinctions me semblent importantes à opérer :
– selon que ces organisations sont fondées sur une ou plusieurs traditions religieuses, culturelles ou philosophiques ;
– selon qu’elles ont un ou des objectifs à caractère religieux ou humanitaire(s) ; l’un n’exclut pas l’autre, mais requiert, une nécessaire mais difficile articulation entre les deux.
– selon qu’elles intègrent ou non dans leur action des personnes ayant différentes convictions religieuses ou humanistes, aussi bien au niveau des acteurs que du public visé.
Mais alors, quels sont les avantages et les exigences d’une reconnaissance comme organisation fondée sur une foi qui n’est pas une notion légale, mais s’inscrit dans la catégorie plus globale d’association à but non lucratif.
Je mentionnerai respectivement :
1- obtenir une reconnaissance sociale, au-delà des membres affiliés. C’est particulièrement vrai pour les traditions minoritaires dans un contexte donné et d’une manière générale pour ce que l’on appellent les nouveaux mouvements religieux.
2- bénéficier d’une suppression ou d’un allégement des impôts étatiques, en fonction des différentes relations existant entre l’État et les religions lesquelles varient d’un pays à l’autre.
3- recevoir un soutien financier (legs, donations de non-membres, subventions gouvernementales et fonds reçus d’une autre organisation qui ne partage pas les mêmes motivations religieuses mais bien les objectifs humanitaires ;
Au titre des exigences ou des limitations, je vois :
1- la clarté requise tant au niveau des motivations que des objectifs, vis-à-vis des partenaires comme du public en général.
2- l’exigence morale de se conformer aux objectifs de la charte de l’ONU et plus spécifiquement aux 30 articles de la Déclaration Universelle des Droits Humains.
3- enfin, la nécessités de rendre de comptes transparents sur l’utilisation de l’argent reçu notamment de sources étrangères à l’organisation.
Cela dit, l’importance et l’efficacité des organisations rattachées à un courant religieux sont largement reconnues par des instances comme la Banque mondiale, laquelle a relancé en 2014 son engagement auprès des organisations fondées sur une foi et des communautés religieuses « reconnaissant qu’elles effectuent souvent le travail essentiel sur le front de la lutte contre l’extrême pauvreté, de la protection des personnes vulnérables, de la fourniture de services essentiels et de la réduction des souffrances ».
Organisations fondées sur une foi engagées en faveur de la DUDH
J’ai cru utile d’établir ces distinguos avant d’aborder directement le sujet de notre table ronde : Faith based organizations committing to the UDHR qui concerne en priorité les ONG ayant une base religieuse telles que Caritas Internationalis (1897-D), Islamic Relief Worldwide (1984-GB), Conseil Œcuménique des Églises (1948-NL), ATD Quart Monde (1968-F) World Conference of Religions for Peace, renommée Religions for Peace (1970-Kyoto) pour n’en citer que quelques unes.
Il va sans dire, et encore mieux en le disant, que cet engagement en faveur du respect des droits humains concerne tout autant les communautés religieuses en tant que telles, aussi bien dans leur fonctionnement interne que dans leurs actions visant un public qui n’en fait pas partie. C’est tout aussi vrai pour toute les initiatives rattachées rattachées d’une manière ou d’une autre à une communauté religieuse, ancienne ou nouvelle.
Ma conviction est que les organisations fondées sur une foi et disposées à s’engager en faveur des droits humains doivent s’efforcer d’appliquer ces droits au sein de leur propre institution avec autant de force et de conviction qu’elle peuvent mettre à en assurer la diffusion auprès d’un plus large public. C’est ce premier aspect du rôle des organisations fondées sur une foi dans la mise en œuvre concrète des droits humains que je voudrais souligner, laissant aux autres intervenants de cette table ronde le soin d’illustrer l’engagement dans le cadre de la société.
Lorsque l’on parle des droits humains, on pense naturellement à à la Déclaration Universelle des Droits Humains adoptée par l’Assemblée générale de l’ONU en 1948 à Paris avec son article premier qui affirme que « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité ».et son article 18 sur le liberté religieuse « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, seule ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites ». On peut ajouter l’article 19 sur la liberté d’opinion Mais, il ne faudrait pas oublier que revient à sept reprises dans la Charte des Nations Unies, faisant de la promotion et de la protection des droits de l’homme un objectif primordial et un principe directeur de l’ONU.
De fait, l’ONU s’est progressivement dotée d’une série d’instruments propres à préciser et à approfondir la portée de ces droits. Pour ce qui concerne directement ou indirectement l’engagement des organisations basées sur la foi, je citerai :
– le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (1966) dont l’article 18, avec ses 4 alinéas, est beaucoup plus explicite sur l’interprétation à donner à la liberté religieuse ; il est notamment question de la liberté de croire ou de ne pas croire ainsi que des limites de cette liberté
– le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (1966) qui traite de la responsabilité des Etats dans ls promotions des dits droits
– la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (1969) pose la question du statut et de la place des femmes au sein des organisations religieuse
– la Déclaration sur l’élimination de toutes les formes d’intolérance et de discrimination basées sur la religion ou la croyance (1981) avec son rapporteur spécial qui fait mesurer, année après année le fossé qui existe entre les principes et la réalité ; ici la question est celle de l’intolérance à l’égard d’autres traditions religieuses dans laquelle des communautés religieuses se trouvent impliquées – discours d’exclusion ou de haine – et, de manière plus générale, la discrimination entre membres et non-membres de la communauté
– la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (1984) si les Etats sont concernés en premier lieu, cela pose la question du rôle de traditions religieuses ou culturelles dans la légitimation et l’application d’actes cruels ou inhumains
– la Convention relative aux droits de l’enfant (1989) cela touche la question du droit des enfants à suivre ou quitter la religion de leurs parents et des rites qui leur sont imposés
– la Convention relative aux peuples indigènes et tribaux (1989) la question est le mépris à l’endroit des traditions dites primitives ou ethniques par les dites grandes traditions monothéistes, panthéistes ou monistes ; et aussi la place que ces traditions trouvent ou non dans le dialogue interreligieux
– la Déclaration sur les droits de personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques (1992) ; cela concerne en premier lieu le organisations religieuses qui occupent une position dominante mais aussi les minorités au sein d’une tradition donnée ainsi que la défense des droits de toutes les minorités sans distinctions d’origines, de croyances, de statuts social, de sexe et de pratiques sexuelles.
Principe d’égalité et de liberté, de non discrimination et de droit à la différence, au nom de l’humanité commune, voilà autant de sujets auxquels toute organisation soucieuse des droits humains, qu’elle ait une base religieuse ou non, est appelée à confronter ses valeurs et sa pratique. C’est précisément sur cette voie que s’est engagé le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits humains. dont le résultat a été la Déclaration de Beyrouth sur « La foi pour les droits »* adoptée en mars 2017 lors d’une rencontre à Beyrouth qui réunissait des représentants de la société civile et des organisations concernées par la foi et les droits humains. Je vous en recommande vivement la lecture si vous ne la connaissez pas ; elle fait preuve d’une grande lucidité et d’une réelle implication des responsables religieux en faveur les droits humains sur le terrain. C’est assurément une belle illustration de ce que peuvent entreprendre des organisations ayant une base de foi pour rendre les droits humains réels et concrets.
* voir file:///C:/Users/basse/AppData/Local/Temp/BeirutDeclarationonFaithforRights_FR.pdf