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Source : Bitter Winter

Le Conseil français de déontologie journalistique et de médiation a estimé que France 2 s’appuyait de manière excessive sur d’anciens membres apostats et présentait une vision déformée des écoles Steiner.

Le Conseil français de déontologie journalistique et de médiation (CDJM) a rendu, le 11 avril, un avis très intéressant à la suite d’une plainte déposée par l’Association nationale pour la promotion et l’avenir de la pédagogie Steiner-Waldorf (ANPAPS), représentant les écoles s’inspirant de l’anthroposophie en France, à l’encontre de la chaîne de télévision publique France 2.

Il est courant, dans le milieu du journalisme français, de nourrir des préjugés contre les “sectes” et de prendre au sérieux les informations fournies par la MIVILUDES, agence gouvernementale antisecte souvent critiquée à l’étranger, ainsi que par d’anciens membres “apostats” de mouvements religieux. Cependant, il y a des limites, même en France ! La décision du CDJM, qui a accepté plusieurs plaintes venant des anthroposophes, présente un grand intérêt parce qu’elle épingle l’approche caractéristique des médias français envers les “sectes”.

L’affaire concerne une émission intitulée “La méthode Steiner, une pédagogie alternative sous surveillance”, diffusée par France 2 le 3 novembre 2022. L’émission sous-entendait que “les écoles Steiner-Waldorf s’efforcent de former de futurs citoyens qui ne pourraient pas s’intégrer dans notre République”, ce qui correspond à l’accusation de “séparatisme” par rapport aux valeurs françaises communes “républicaines”, accusations généralement dirigées aussi bien envers l’islam qu’envers les “sectes”.

Au lieu de montrer des vidéos des écoles Steiner-Waldorf d’aujourd’hui, les séquences choisies consistaient en “images d’archives d’un autre siècle, en noir et blanc, montrant un groupe d’élèves tournant en rond dans des toges blanches, façon secte du Temple solaire”, cette dernière tristement célèbre pour ses suicides et homicides collectifs dans la dernière décennie du XXème siècle. Les déclarations de la MIVILUDES sont reprises sans esprit critique et l’émission offre une tribune à Grégoire Perra, connu pour être “le principal détracteur de la pédagogie Steiner-Waldorf en France et de l’anthroposophie”.

La demande des anthroposophes de publier leur réponse ainsi qu’un rectificatif a été ignorée. La société France 2 s’est défendue en déclarant, entre autres, qu’elle s’était appuyée sur des déclarations de la MIVILUDES, organisme gouvernemental. Bien que, comme on pouvait s’y attendre, le CDJM ait déclaré que France 2 ne pouvait être blâmé pour avoir cité la MIVILUDES, il a estimé que certains aspects de la présentation des écoles Steiner-Waldorf dans l’émission étaient inexacts et versaient plutôt dans le sensationnel. Il a également relevé l’inexactitude de l’affirmation selon laquelle il serait difficile d’obtenir des informations sur les écoles Steiner-Waldorf de l’intérieur, faisant observer qu’au contraire, les écoles sont ouvertes aux visiteurs et que les sources principales à leur sujet sont facilement accessibles en ligne. Le CDJM a donc conclu que “France 2 a enfreint l’obligation déontologique d’exactitude”.

Il a également épinglé France 2 pour avoir “fait le choix non pas de diffuser des images contemporaines, mais d’insérer des images d’archives noir et blanc d’enfants tournant en rond dans des toges blanches. Cet extrait n’est pas identifié ni présenté comme une image d’archives, avec une mention explicite à l’écran. Il a pour effet de jeter le trouble sur la nature actuelle de l’enseignement qui est dispensé dans ces établissements.”

Enfin, le CDJM note également que France 2 a accordé, dans son émission, une place importante au détracteur notoire de l’anthroposophie qu’est Grégoire Perra ainsi qu’à un autre adversaire de cette philosophie, alors que la réponse du représentant de cette dernière s’est réduite à “une simple phrase donnée à une quinzaine de secondes de la fin de la séquence en cause”. Ceci, “alors que deux témoignages, notamment, ont évoqué dans la longueur leur opposition à la méthode, ne peut suffire au respect de l’offre de réplique, équilibre essentiel à la pratique journalistique”.

Finalement, le CDJM constate que, malgré la demande des anthroposophes, “aucune rectification d’erreur n’a été apportée au texte en ligne qui accompagne la vidéo de la séquence en cause et que France 2 a donc enfreint l’obligation déontologique de rectification des inexactitudes et des atteintes à la véracité des faits”.

En conclusion, bien que toutes les revendications des anthroposophes n’aient pas été acceptées, le CDJM a estimé que France 2, sur plusieurs points, “a enfreint (…) les obligations d’équité et de vérification des faits. Il n’a pas non plus respecté l’obligation déontologique de rectification des erreurs.”

Cet incident n’est pas isolé. Partout dans le monde, et avec une virulence toute particulière en France, les médias présentent les questions concernant les groupes qualifiés de “sectes” en reprenant les déclarations d’adversaires de sectes et d’anciens membres “apostats”, ces derniers représentant la minorité d’anciens membres qui se transforment en critiques virulents du mouvement qu’ils ont quitté. Les médias ne vérifient pas les faits et refusent d’accorder un espace ou un temps égal aux membres des mouvements qui voudraient présenter leurs propres points de vue, bien sûr différents de celui de leurs adversaires. Cela ne peut aboutir qu’à des reportages biaisés et à charge.

Les organismes de surveillance professionnels tels que le CDJM peuvent jouer un rôle important pour corriger cette forme, malheureusement très répandue, de mauvaise pratique journalistique. On peut penser qu’à l’avenir, davantage de mouvements religieux devraient déposer plainte auprès de ces instances.

Massimo Introvigne (né le 14 juin 1955 à Rome) est un sociologue italien spécialiste des religions. Il est fondateur et directeur général du Centre d’études sur les nouvelles religions (CESNUR), un réseau international d’universitaires qui étudient les nouveaux mouvements religieux. Massimi Introvigne est auteur de près de 70 ouvrages et de plus d’une centaine d’articles dans le domaine de la sociologie des religions. Il est l’auteur principal de l’Enciclopedia delle religioni in Italia (Encyclopédie des religions en Italie). Il est membre du comité de rédaction de l’Interdisciplinary Journal of Research on Religion et du comité exécutif de Nova Religio des Presses universitaires de Californie. Du 5 janvier au 31 décembre 2011, il a été représentant de l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) pour la lutte contre « le racisme, la xénophobie et la discrimination », spécialement « contre les chrétiens et les membres d’autres religions ». De 2012 à 2015, il a  présidé l’Observatoire de la liberté religieuse,

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