Christine Mirre, directrice de CAP Liberté de Conscience, une ONG française dotée du statut consultatif auprès des Nations unies qui défend les minorités religieuses et spirituelles depuis plus de 20 ans.
En tant que Française, j’aimerais apporter quelques précisions sur le cas unique de la France.
Le gouvernement français a mis en place un système de contrôle de ces minorités unique en Europe qui conduit à des violations graves par l’Etat des principes de liberté de religion ou de conviction, d’égalité des citoyens français devant les institutions nationales et de fraternité, en divisant les citoyens selon leur appartenance ou non à une minorité religieuse ou de conviction reconnue, et en créant un climat de suspicion et parfois même de haine à l’égard des croyances non traditionnelles, conduisant à une détérioration de la qualité du vivre ensemble pacifique.
En France, les membres des minorités religieuses ou spirituelles sont traités différemment, notamment par les autorités judiciaires.
En effet, il existe un système juridique spécifiquement adapté aux membres de ces minorités, bien que l’arsenal juridique français aux niveaux administratif, civil et pénal soit très bien doté et permette de rendre la justice.
Lorsqu’un membre de l’une de ces minorités entre en contact avec la justice, il entre dans un circuit bien huilé, bien réglé, où il est condamné avant d’être jugé.
Malgré des décennies de dénonciation par les instances européennes et internationales, la France continue de violer les traités internationaux et européens sur la liberté religieuse.
Pour illustrer ce propos, le 15 novembre dernier, un projet de loi “renforçant la lutte contre les dérives sectaires” a été présenté en Conseil des ministres et immédiatement transmis à la commission juridique du Sénat en procédure accélérée.
Il sera discuté en séance plénière au Sénat le 19 décembre. Composé de 7 articles, il porterait, s’il était promulgué, une atteinte grave aux principes fondamentaux de la liberté de conscience, de religion et de conviction et poserait de réels problèmes de conventionnalité et de conformité à la Constitution française et au droit international des libertés fondamentales.
– L’article 1 du projet de loi crée un nouveau délit dans le code pénal, celui de “placer ou maintenir une personne dans un état de soumission mentale ou physique”. La “soumission psychologique” (ou contrôle de l’esprit) est un concept pseudo-scientifique, maintes fois rejeté par les scientifiques du monde entier, dont l’application en droit pénal, notamment dans le domaine religieux et spirituel, constitue une menace pour la démocratie et les libertés fondamentales. La CEDH (Cour européenne des droits de l’homme) elle-même a déjà statué qu'”il n’existe pas de définition scientifique et généralement acceptée de ce qui constitue la “manipulation mentale””.
L’adoption de cet article conduirait à la criminalisation de nombreuses pratiques religieuses qui pourraient facilement être considérées comme des “techniques capables d’altérer le jugement” conduisant à l’assujettissement psychologique. Elle conduirait également à une tendance inquiétante en droit pénal, permettant aux psychiatres d’interpréter des définitions juridiques vagues, puisque ce serait finalement le psychiatre désigné qui serait appelé à décider de la validité d’une pratique religieuse ou spirituelle et de la validité du consentement d’un adepte à une croyance et à une pratique particulières.
– L’article 3 du projet de loi permettrait aux associations hostiles aux religions minoritaires, dont certaines peuvent être entièrement financées par l’État et connues pour leurs pratiques discriminatoires à l’égard des minorités religieuses, de se porter partie civile dans des procès qui, autrement, ne les concerneraient pas du tout, ce qui porterait gravement atteinte au droit à un procès équitable garanti par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.
– L’article 4 crée, contre l’avis du Conseil d’Etat (la plus haute juridiction administrative française, qui conseille également le gouvernement sur les projets de loi), le délit de “provocation à l’abandon ou à l’abstention d’un traitement médical thérapeutique ou prophylactique”. Le Conseil d’Etat a estimé que cet article permettrait de “criminaliser la contestation de l’état actuel des pratiques thérapeutiques”, mettant ainsi en péril “la liberté du débat scientifique et le rôle des lanceurs d’alerte”.
– L’article 6 vise à permettre à la MIVILUDES (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les déviances cultuelles, organisme gouvernemental français rattaché au ministère de l’intérieur, également connu pour son intolérance à l’égard des minorités) d’être consultée par les procureurs ou les tribunaux dans le cadre d’une procédure pénale.
Il est particulièrement préoccupant que cette loi soit proposée à un moment où le climat social et politique en France rend difficile de s’opposer à une telle législation, ses partisans étant cloués au pilori dans les médias comme des “anti-sectes” ou des “apologistes des sectes”, sans aucune considération pour les principes fondamentaux de la liberté de religion ou de croyance.
Cette proposition de loi constitue une menace importante pour les libertés fondamentales et peut conduire à une criminalisation injuste des pratiques religieuses.