En fermant la principale organisation de surveillance des atteintes à la liberté religieuse, le régime de Poutine ne peut plus faire croire qu’il subsiste le moindre vestige de liberté de croyance en Russie.

Par Massimo Introvigne

Source Bitter Winter

La décision du tribunal de Moscou du 27 avril de dissoudre le Centre d’information et d’analyse SOVA, ONG russe de premier plan chargée de surveiller les atteintes aux libertés de religion ou de croyance, est l’une des plus tristes nouvelles nous provenant de Russie récemment. Nous sommes tous redevables au Centre SOVA, non seulement pour une masse d’informations disponibles nulle part ailleurs, mais aussi pour des analyses approfondies expliquant pourquoi le régime de Poutine se comporte de la sorte en s’attaquant à la liberté de religion. Le Centre SOVA a annoncé qu’il ferait appel, mais il semble peu probable qu’une décision motivée par des considérations politiques puisse être annulée.

D’un autre côté, et paradoxalement, la décision du tribunal de Moscou rend la situation religieuse en Russie plus claire qu’elle ne l’était auparavant. Pour être honnête, j’ai été surpris que, même après le début de l’agression contre l’Ukraine, le Centre SOVA ait été autorisée à poursuivre son précieux travail. J’ai été encore plus étonné par le fait que, comme nous l’avons rapporté dans Bitter Winter, Olga Sibireva, du Centre SOVA, ait été autorisée à se rendre à Varsovie le 28 septembre 2022 et à s’exprimer dans le cadre de la Réunion de l’OSCE sur la Dimension humaine, lors d’un événement parallèle organisé par l’ONG CAP-LC et soutenu par notre magazine, sur “l’idéologie antisectes et la FECRIS [la fédération européenne antisectes dont la branche russe soutient l’invasion de l’Ukraine] : Dangers pour la liberté religieuse”. Ayant aussi participé à cet événement en tant qu’orateur, j’ai trouvé le discours de Mme Sibireva particulièrement modéré, équilibré et bien documenté. Cependant, il s’avère que sa participation à l’événement de Varsovie est précisément l’un des “crimes” et l’une des “violations flagrantes et irréparables de la loi” pour lesquels le Centre SOVA a été dissous.

Je me suis demandé à plusieurs reprises pourquoi le Centre SOVA, ainsi que quelques autres voix “normales”, n’avaient pas encore été étouffées en Russie. Une suggestion de réponse était que le régime de Poutine voulait encore faire croire que différents points de vue sur la religion pouvaient coexister en Russie, entre les divagations délirantes de la FECRIS russe et de ses dirigeants Alexandre Dvorkin et Alexandre Novopashin, jusqu’à l’attitude pleine de modération du Centre SOVA. Il n’y avait pas de liberté de religion en Russie, mais au moins restait-il quelques espaces limités dans lesquels, à défaut de renverser la situation désastreuse des libertés confessionnelles, l’on pouvait tout au moins en parler.

Le plus important de ces espaces est aujourd’hui fermé. La Russie fait ainsi savoir au monde que non seulement la pratique de la liberté religieuse, mais également la possibilité de discuter de la liberté de religion ou de croyance ont été abolies dans le pays. Le régime de Poutine fait désormais officiellement partie des États parias, avec la Chine et la Corée du Nord, dans lesquels la répression contre la liberté religieuse n’est même pas dissimulée.

Les amis de la liberté de religion dans le monde entier devraient se mobiliser en faveur du Centre SOVA. Ils ne le sauveront probablement pas, mais ils devraient au moins demander aux pays démocratiques et aux organisations religieuses internationales de prendre acte de la déclaration officielle mettant fin au dernier vestige de la liberté de religion en Russie. Non seulement on peut y faire quelque chose, mais on doit le faire. Parler ne suffit pas. Des sanctions similaires à la loi Magnitski devraient frapper les principaux architectes de la répression anti-religieuse en Russie, notamment Dvorkin et Novopashin. Tout dialogue interreligieux et œcuménique, ainsi que toute invitation à des conférences internationales, devraient cesser pour ces chefs religieux – évêques, à commencer par le patriarche Cyrille, muftis et dirigeants bouddhistes – complices du régime de Poutine et de sa répression religieuse sanglante (ils soutiennent également la guerre d’agression contre l’Ukraine). Dans le domaine religieux également, il n’est plus possible de continuer à agir avec la Russie comme si de rien n’était.

Massimo Introvigne (né le 14 juin 1955 à Rome) est un sociologue italien spécialiste des religions. Il est fondateur et directeur général du Centre d’études sur les nouvelles religions (CESNUR), un réseau international d’universitaires qui étudient les nouveaux mouvements religieux. Introvigne est de près de 70 ouvrages et de plus d’une centaine d’articles dans le domaine de la sociologie des religions. Il est l’auteur principal de l’Enciclopedia delle religioni in Italia (Encyclopédie des religions en Italie). Il est membre du comité de rédaction de l’Interdisciplinary Journal of Research on Religion et du comité exécutif de Nova Religio des Presses universitaires de Californie. Du 5 janvier au 31 décembre 2011, il a été représentant de l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) pour la lutte contre « le racisme, la xénophobie et la discrimination », spécialement « contre les chrétiens et les membres d’autres religions ». De 2012 à 2015, il a présidé l’Observatoire de la liberté religieuse, institué par le ministère italien des Affaires étrangères afin de suivre de près les problèmes de liberté religieuse à l’échelle mondiale.

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