Bitter Winter 09/06/2023

Une autre scandaleuse histoire d’argent du contribuable généreusement distribué à des associations douteuses a frappé Christian Gravel, qui a dû quitter la mission française de lutte contre les sectes.

par Massimo Introvigne

“Piscis primum a capite foetet” : “Le poisson commence à pourrir par la tête”, selon un dicton latin qui n’existait peut-être pas avant qu’Erasme de Rotterdam ne le popularise à la Renaissance. Il y a beaucoup de mauvaises odeurs lorsqu’on s’approche de la MIVILUDES, la Mission de surveillance et de lutte contre les dérives sectaires, une agence antisectes française unique en son genre qui fait partie du gouvernement lui-même.

Une fois, elle publie des informations fausses et calomnieuses dans son rapport annuel – et se soustrait à un procès où les juges auraient statué sur ces informations. Une autre fois, elle est prise en flagrant délit d’utilisation de fausses statistiques et de rapports anonymes qui peuvent être tout aussi faux. Enfin, sa directrice, Hanène Romdhane, démissionne inopinément pour des raisons mystérieuses.

Le poisson pourrit par la tête. Son ancien chef, Georges Fenech, aujourd’hui membre de son Conseil d’orientation, s’est rendu en Crimée pour applaudir Poutine lors de l’annexion illégale de ce territoire ukrainien. Plus récemment, il a enfreint la loi en ne payant pas ce qu’il devait à la Scientologie après avoir perdu un procès contre elle. Il a dû subir l’humiliation de voir un huissier faire une saisie-attribution sur son compte bancaire.

Le poisson continue à pourrir par la tête. Un autre a dû quitter le manège. Le 6 juin, les médias français ont annoncé que le président de la MIVILUDES, Christian Gravel, avait lui aussi démissionné. Cette fois-ci, la raison pour laquelle il a dû démissionner est moins mystérieuse.

Le 31 mai, l’Inspection générale de l’administration (IGA) a rendu un premier rapport sur ce que l’on appelle en France le scandale du Fonds Marianne.

Le 16 octobre 2020, Samuel Paty, professeur de lycée, a été décapité par un terroriste après avoir été accusé d’avoir montré à ses élèves des caricatures du magazine “Charlie-Hebdo” offensant le prophète Mahomet. L’une des conséquences de ce crime a été le soutien accru du gouvernement français aux organisations qui luttent contre le radicalisme islamique et le “séparatisme”, mot qui désigne en France l’auto-organisation des communautés religieuses d’une manière jugée incompatible avec les valeurs laïques de la République française.

A partir de juillet 2020, Marlène Schiappa est ministre déléguée chargée de la Citoyenneté, auprès du ministre de l’Intérieur. Elle lance un “Fonds Marianne” pour financer, à hauteur de 2,5 millions d’euros dans un premier temps, des associations privées ayant fait la preuve de leur efficacité dans la lutte contre le “séparatisme”. Pour des raisons politiques qui lui sont propres, Mme Schiappa a également sauté dans le train de la lutte contre les sectes et a souligné à plusieurs reprises qu’elle considérait que les “sectes” n’étaient pas moins “séparatistes” que l’intégrisme islamique.

Le Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIDPR) a été chargé de sélectionner les associations qui seraient financées par le Fonds Marianne. Le chef du CIDPR était Christian Gravel, en charge également de la présidence de la MIVILUDES, qui est administrativement rattachée au CIDPR.

La plus grosse part du Fonds Marianne (355 000 euros) est allée à une association connue sous le nom d’Union fédérative des sociétés d’éducation physique et de préparation militaire (USEPPM), liée au journaliste controversé Mohamed Sifaoui, qui a souvent été accusé d’islamophobie. Il s’est avéré que la demande de l’USEPPM ne comportait que sept phrases et qu’aucune enquête sérieuse n’avait été menée sur sa capacité à fournir des résultats sérieux dans la lutte contre le radicalisme. Lorsque l’enquête a commencé, certains médias ont fait remarquer qu’elle pourrait facilement s’étendre à des organisations privées antisectes strictement associées à la MIVILUDES, qui avaient également reçu des fonds du CIDPR. Bien qu’elles n’aient pas encore été accusées de malversations financières, elles pourraient facilement être impliquées dans les “soupçons de favoritisme entourant la structure créée par Marlène Schiappa”.

Publicité Playboy pour le numéro avec Marlène Schiappa. – Twitter

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Ce n’est peut-être plus un problème pour Marlène Schiappa, qui a récemment posé pour la couverture du magazine “Playboy”. Mais c’est un problème pour Christian Gravel. Il a tenté de rejeter toute la responsabilité du scandale de l’USEPPM sur Schiappa, mais les inspecteurs n’ont pas cru à sa version. Finalement, il a dû démissionner.

La MIVILUDES devrait maintenant se chercher un autre président. Le poisson continue de pourrir par la tête. Les fonctionnaires français soucieux de leur réputation préféreraient sans doute ne pas toucher à cette organisation avariée qu’avec une perche de dix mètres.

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