Par Willy Fautré, directeur de Human Rights Without Frontiers
HRWF (12.07.2023) – Le 26 juin, l’Observatoire fédéral des sectes (CIAOSN/ IACSSO), qui est officiellement connu sous le nom de “Centre d’information et d’avis sur les organisations sectaires nuisibles” et qui fut créé par la loi du 2 juin 1998 (modifiée par la loi du 12 avril 2004) a publié un certain nombre de “Recommandations concernant l’aide apportée aux victimes d’emprise sectaire”.
Victimes des “sectes” ou des religions?
L’Observatoire des Sectes n’est pas en charge de l’aide psycho-sociale ou judiciaire aux victimes des sectes. Toutefois, il oriente les demandeurs vers des services d’aide adéquats et leur fournit des informations juridiques d’ordre général. Les abus et souffrances décrites sont de natures très diverses, dit l’Observatoire.
Les victimes sont des personnes déclarant souffrir ou avoir souffert d’emprise sectaire ou des conséquences de l’emprise sectaire d’un proche, selon l’Observatoire.
L’Observatoire rappelle dans le texte de sa Recommandation que “la notion de victimes est en réalité plus large que celle donnée par les définitions légales. A côté des victimes directes (ex-adeptes,…), il existe aussi des victimes collatérales (parents, enfants, amis, proches,…) et des victimes silencieuses (ex-adeptes ne dénonçant pas les faits mais qui sont en souffrance, enfants,…).” Il veille également à prendre certaines précautions oratoires et à ne pas cautionner l’état réel d’une personne se déclarant victime.
Sur le plan judiciaire, “les assistants de justice ne peuvent intervenir et apporter une aide que dans l’hypothèse où une plainte pénale est déposée, ce qui est rarement le cas dans le contexte sectaire,” déclare l’Observatoire. Toutefois, le concept de “secte” n’existe pas dans le domaine du droit et “le contexte sectaire” encore moins.
Il est vrai que dans tous les domaines des relations humaines (familiales, conjugales, hiérarchiques, professionnelles, sportives, scolaires, religieuses…), les victimes ont des difficultés à déposer une plainte au pénal pour diverses raisons d’ordre psychologique ou autre.
Toutefois, dans le contexte religieux, et en particulier de l’Eglise catholique romaine, le nombre de victimes d’abus sexuels documentés et avérés qui sont ou étaient passibles d’une peine pénale sont innombrables dans le monde entier. Au temps de la commission de ces abus, les victimes réelles ont gardé le silence et par milliers se sont abstenues de porter plainte. Singulariser et stigmatiser les soi-disant “sectes” hors du contexte religieux général ne peut que donner une vision tronquée de la réalité. Les “sectes” n’existent pas en droit.
Qui doit payer? L’Etat, et donc les contribuables?
Partout dans le monde, il y a et il y a eu des victimes de diverses sortes dans des groupes religieux, spirituels ou philosophiques. L’Etat n’intervient pas financièrement dans l’accompagnement psychologique des dites victimes.
L’Eglise catholique a unilatéralement et enfin décidé de purifier ses rangs, d’identifier et de documenter les cas allégués d’abus, de faire face aux plaintes dans les tribunaux ou dans d’autres contextes et d’intervenir financièrement dans les dommages causés par les membres de son clergé. Des poursuites judiciaires conduisant à des amendes, des dédommagements financiers de victimes avérées par l’appareil judiciaire ou des peines de prison peuvent aussi s’imposer.
Les voies légales sont les plus sûres dans nos démocraties. La première aide à apporter à des personnes se déclarant victimes est juridique: les assister à porter plainte et ensuite faire confiance à la justice pour établir les faits, confirmer ou non l’état de victimes, et prévoir dans ses jugements des dédommagements financiers adéquats pour des psychologiques éventuelles.
C’est la seule voie crédible pour déterminer s’il y a eu une violation de la loi par un groupe religieux déterminé, s’il y a eu des victimes et si elles doivent être dédommagées.
L’Observatoire des Sectes est un centre d’information et d’avis et peut donc légitimement émettre un avis et faire une recommandation aux autorités compétentes belges. Il a toutefois perdu sa crédibilité depuis que son avis concernant de présumés abus sexuels sur mineurs commis au sein du mouvement des Témoins de Jéhovah et soi-disant cachés par la hiérarchie religieuse a été totalement désavoué par un tribunal belge pour faute de preuves en 2022.
Un avis de l’Observatoire des Sectes pris en défaut par la justice belge
En octobre 2018, l’Observatoire des Sectes a publié un rapport sur des abus sexuels présumés sur des mineurs commis au sein de la communauté des Témoins de Jéhovah et a demandé au parlement fédéral belge d’enquêter sur la question.
L’Observatoire a déclaré avoir reçu divers témoignages de personnes affirmant avoir été victimes d’abus sexuels, ce qui a conduit à une série de perquisitions dans des églises et des maisons de Témoins de Jéhovah.
Ces accusations de violences sexuelles ont été vivement contestées par la communauté religieuse. Les Témoins de Jéhovah ont estimé que cela leur portait préjudice ainsi qu’à leur réputation et ont porté l’affaire devant les tribunaux.
En juin 2022, le Tribunal de première instance de Bruxelles a donné raison aux Témoins de Jéhovah et a condamné l’Observatoire.
Le jugement indiquait que le CIAOSN “a commis une faute en rédigeant et en diffusant le rapport intitulé ‘Rapport sur le traitement des abus sexuels sur mineurs au sein de l’organisation des Témoins de Jéhovah'”.
Le tribunal de première instance de Bruxelles a également ordonné à l’État belge de publier le jugement sur la page d’accueil de l’Observatoire pendant six mois.
La décision du tribunal a été accueillie favorablement par les Témoins de Jéhovah, qui avaient dénoncé une “rumeur particulièrement infâme” visant leur communauté de quelque 45 000 membres et sympathisants en Belgique.
L’Observatoire des Sectes recommande un financement public d’organisations peu crédibles et peu transparentes
L’Observatoire déclare que l’un des principaux partenaires côté francophone, le Service d’Aide aux Victimes d’Emprise et de Comportements Sectaires (SAVECS) du Planning familial Marconi (Bruxelles) a “aidé et conseillé des personnes déclarant souffrir ou avoir souffert d’emprise sectaire ou des conséquences de l’emprise sectaire d’un proche,” mais qu’il avait fermé ses portes pour des raisons budgétaires.
Du côté néerlandophone, le CIAOSN déclare travailler en collaboration avec l’asbl Studie en Adviesgroep Sekten (SAS-Sekten) mais les bénévoles de cette association ne sont plus en mesure de prendre en charge les demandes d’assistance, lesquelles restent sans réponse.
L’Observatoire des Sectes loue l’expertise et le professionnalisme de ces deux associations.
Une recherche préliminaire sur ces deux organisations apporte toutefois des réserves quant à leur transparence et en conséquence à la fiabilité de l’avis de l’Observatoire.
Le site du SAVECS ne comporte aucun rapport annuel d’activités et ne mentionne aucune information concernant les cas d’aide aux victimes traités par eux (nombre de cas , nature, mouvements religieux ou philosophiques concernés, etc.).
Le Centre de Consultations et de Planning Familial Marconi est tout aussi muet de la question d’aide aux victimes de sectes. Le Centre Marconi couvre les activités suivantes: consultations médicales ; contraception, suivi grossesse, sida, MST ; consultations psy : individuelles, en couple et famille ; consultations sociales ; consultations juridiques ; animations ; kiné. Il propose en outre “un service d’aide aux victimes d’emprise et de comportements sectaires – SAVECS – : écoute et consultation psychologiques, prévention, groupe de parole.” L’aide aux victimes de sectes apparaît donc comme très annexe par rapport à son mandat.
SAS-Sekten est une organisation, créée en 1999 dans la foulée du Rapport parlementaire belge sur les sectes, qui a une page sur le site officiel d’information de la Région Flamande informant les habitants de ladite Région des services d’aide sociale disponibles. Bien que l’aide aux victimes de sectes soit affichée en première position de son mandat, il n’y a non plus aucun rapport d’activités à ce sujet. De nouveau un manque total de transparence et un gouffre entre ce qui est affiché et ce qui est réalisé, peut-être.
La figure visible actuelle de SAS-Sekten est un ancien Témoin de Jéhovah qui a traîné le mouvement en justice sur base d’accusations de discriminations et incitation à la haine. En 2022, il a perdu en appel, ses accusations étant déclarées non fondées.
Human Rights Without Frontiers considère que le financement public de tels groupes, recommandé par l’Observatoire des Sectes n’est pas crédible et qu’une autre solution doit être trouvée.
Le mauvais exemple de la France, à ne pas suivre
Tout récemment, la distribution de fonds publics à des associations douteuses a entraîné la démission du président de l’Observatoire des Sectes français (MIVILUDES) sur fond de scandale du Fonds Marianne dont il avait la gestion sous l’autorité de son ministre, Marlène Schiappa.
Le 16 octobre 2020, un professeur d’école secondaire, Samuel Paty, avait été décapité par un extrémiste musulman de 18 ans pour avoir montré des caricatures de Mahomet publiées par “Charlie Hebdo” et suite à l’initiative du gouvernement français, le Fonds Marianne avait alors été lancé par la Ministre Marlène Schiappa (Budget initial de 2.5 million EUR). Le but était de financer des associations luttant contre le fondamentalisme musulman et le séparatisme. Par la suite, la ministre avait soutenu que les sectes n’étaient pas moins séparatistes et fondamentalistes et que les associations antisectes devaient être financées sur ce fonds. Certaines proches de la MIVILUDES avaient alors “bénéficié d’un certain favoritisme”, ce qui était le bienvenu vu leurs difficultés financières. Un rapport d’inspection officiel a fait éclater le scandale.
Plusieurs associations antisectes françaises sont actuellement sous le coup de plaintes.
Il ne faudrait pas que l’Etat belge et les contribuables soient instrumentalisés pour renflouer les finances d’associations peu transparentes.
Photo : https://fr.wikipedia.org/wiki/Palais_de_la_Nation_%28Bruxelles%29